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"Mon dévidoir de l'âme"
"Mon dévidoir de l'âme"
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27 juillet 2006

La Mort d'Isaac Stern

Isaac Stern était vieux, trop vieux...

La douceur printanière lui caressait le visage, cette peau si ridée, si consumée par le Temps, si flétrie qu’il semblait qu’elle eût pu se déchirer par un simple frôlement. Ça et là, sur son corps, sur ses mains, sur son front, sur ses pommettes s’étendaient d’innombrables tâches brunâtres que l’Âge lui avait gravé à jamais sur la chair. Ce fauteuil habillé de cuir, flanqué de deux larges roues entraînée par un moteur qu’il pouvait diriger de sa main encore valide, était son seul salut, son unique alternative de mouvement, le dernier instrument de son libre arbitre. Il avait réussi à tromper la vigilance des infirmières, gardiennes de cette geôle dans laquelle il avait été mené bien malgré lui, cet établissement pour retraités qui avaient pour mission de le protéger des affres de la vie, de la fragilité cristalline de la vieillesse... Mais désirait il réellement être ainsi protégé?

Il avança lentement dans le parc attenant au manoir où cette institution avait élu domicile, approchant d’une fontaine de marbre au réceptacle circulaire surmonté d’une Déesse satinée au corps nu seulement effleuré d’un voile de tissu dont il pouvait distinctement percevoir les plis taillés dans le minerai. Une haute gerbe d’une eau claire retombait aux pieds de l’antique Divinité, exhalant sa fraîcheur jusqu’au visage du vieil homme. Il avait jadis déjà admiré cette fontaine, alors que le domaine était encore la propriété d’une riche famille aristocratique, se vantant sans vergogne de la noblesse de ses origines. Le marbre en était moins souillé par la saleté et l’érosion du Temps mais le doux parfum qui s’en émanait était demeuré le même. Cet infime coin à l’écart des axes goudronnés de ce parc était son petit havre de paix, comme un lieu commémoratif de sa vie passée, où il se devait de s’affranchir d’un pèlerinage quotidien, afin de ne pas oublier...

Il laissa sa main encore valide errer sous le jet d’eau étrangement glaciale pour la saison. Au contact de cette fraîcheur, un délicieux frisson le parcourut, une sensation d’exister... Il prenait chaque jour le temps de profiter de ces moments qui font la Vie, sachant pertinemment que, fort heureusement, le trépas surgirait bientôt pour l’emporter en son sein.

D’ailleurs, il attendait cet instant avec une impatience non contenue…

Son regard argenté se posa loin devant lui, dans cette attitude quasi catatonique qu’il s’imposait délibérément, afin de ne pas se trouver importuné par les infirmière et animatrices qui s’évertuaient à vouloir soigner ou distraire ces « pauvres petits vieux ». Il n’avait que faire de leur remède et le leur jeux stupides ! Son seul désir était de rejoindre ses proches, ses amis, sa famille bien aimée, par le souvenir, à défaut de les retrouver dans la Mort.

Il avait traversé un siècle de l’Histoire de l’Humanité, peut être le plus obscur, le plus douloureux, le plus meurtrier… Il avaient vu mourir tous les être qui étaient chers à son cœur… Il avait pleurer, avec une profonde et infinie souffrance, le décès prématuré de son fils unique, de l’épouse de celui ci et de leur jeune nourrisson, fauchés dans la jeunesse de leur années de vie commune, par un terrible accident de la route. Aucune infraction, aucune faute imputable à l’Homme, juste la calamité naturelle, le désastreux aléa de toute vie… Les malheureux se trouvaient au mauvais endroit au mauvais instant. Il sentit une larme percée sous sa vielle carapace tannée. Il entendait chaque jour le rire cristallin de son enfant, les pleurs affamés de son petit fils, la voix douce de sa bru… Ce n’était pas là une hallucination due à l’âge ou à une quelconque cécité , mais juste un rendez vous récurrent et régulier avec un souvenir persistant qu’il ne voulait éluder de son esprit.

De même, chaque nuit, rendait il visite à sa tendre épouse dans un rêve toujours identique, à la conscience précise et aiguë, afin de la chérir à nouveau comme il l’avait toujours fait durant leurs merveilleuses années de mariages et même auparavant lorsqu’il avait entrepris de lui demander de l'épouser, alors même que la débâcle nazie n’était pas achevée et que les déflagrations des combats résonnaient toujours par moment à l’horizon. Il se souvenait encore avec de vifs détails de cette somptueuse journée où il l‘avait aperçue pour la première fois… Sa robe légère ocre, sa peau laiteuse et veloutée, ses longues boucles blondes qu’elle avait laissé retomber en cascade sur ces épaules à demi nues, ses lèvres rosée s’étirant en un magnifique sourire, son regard émeraude envoûtant qui avait tant subjugué le jeune Isaac, la naissance de ses seins si sensuels qui apparaissait au travers d’un aguichant et outrageux - pour l’époque - décolleté qui fendait sa robe. Il se remémorait la douceur de sa voix et la délicatesse des effluves de son parfum lorsqu’elle avait prononcé son prénom pour la première fois aux creux de son oreille dans murmure enivrant: “Cerise”. Il vivait, encore et encore, chaque jour plus intensément, la passion de ce premier baiser qu’ils avaient échangé, un soir de pleine lune, au bas de chez elle. Il évoquait, avec un réel plaisir charnel, cette première nuit d’amour où elle s’était offerte à lui, avec de longs et profonds soupirs haletants qu’il semblait encore distinguer dans le silence.

Puis le Destin avait cru bon d’opposer son veto à leur amour, aidé dans cette démarche par l’entrée en guerre de son pays contre l’optique impériale nazie. Il avait été mobilisé et dépêché que le front, auprès des forces retranchées derrière la “ligne Maginot”. Chaque jour, ses moindres mots, jetés sur un morceau de feuillet, étaient destinés à sa tendre Cerise, chaque nuit, ces songes étaient absorbé dans la contemplation de son visage, de son corps... Il avait connu l’insoutenable et horrible attente d’une bataille inéluctable ... Il comprenait désormais ce que devait ressentir l’être vil, le meurtrier, qui attendait, dans sa cellule du couloir de la mort, l’arrivée du bourreau qui tardait... Puis il avait vécu les sanglants et obscurs affrontements, les vains assauts d’un bataillon de chair à canons emmené au casse-pipe par des officiers déjà défaitistes . Il avait vu son assaillant, l’arme au poing, au loin; il avait entendu le souffle froid de la déflagration, il avait senti le projectile déchirer la chair de son abdomen, pulvériser les tissus de ses poumons et finir sa course non loin de ses vertèbres. Il s’était effondré, sans un cri, dans la boue de ce champs de bataille, sentant un voile glaciale envelopper ses membres... Puis le Chaos... Il n’avait aucun souvenir de ce qu’il avait pu retenir de ce bref voyage au delà de cette Terre. Il s’était éveillé sous la tente grise souillée de sang d’un hôpital militaire de campagne, une infirmière penchée sur lui dans un halo de lumière qui l’éblouissait. Lorsque son regard s’était habitué à cette clarté nouvelle, il avait distingué deux homme en blouse blanche maculée de tâches de fluides corporels humains de toute sorte, en vive discussion...

C'est un impotent maintenant, il ne nous est d’aucune utilité ici...”

En effet, par un miracle chirurgical, les médecins avaient réussi l’exploit d’extraire le projectile de ses chairs, sans endommager sa colonne vertébrale et de suturer les tissus mutilés de son poumon gauche, mais il resterait inévitablement des séquelles.

Mais les discours du personnel médical ne lui importait que peu... L’image du visage de sa bien aimée pouvait, d’un baiser, chasser tous les maux de son âme et de son corps. Et il la retrouverait bientôt...

C’était, là, la seule et unique fois où ils avaient été réellement séparés, où il avait amèrement cru la perdre définitivement, jusqu’ à...

Il eut un triste et douloureux soupir, enfoncé dans son fauteuil roulant.

Elle n’était plus.

Il n’aurait jamais cru pouvoir survivre sans elle! D’ailleurs, il n’existait plus depuis qu’elle avait quitté ce bas monde, il survivait, il se laissait porté par les nécessités absolues de la vie: se nourrir, sommeiller, rien de plus...

Il déposa lentement ses doigts encore valide sur le contour de marbre de la vieille fontaine.

Une soudaine et atroce douleur écrasa sa poitrine, compressant son coeur dans un étau invisible et irresistible, irradiant dans son torse jusque dans son bras gauche, en une déflagration silencieuse dont le souffle funeste déferlait dans son corps. Le regard éperdu de panique, suffoquant sous l'effet du déchirement infligé à ses ventricules aux pulsations assourdissantes et instables, il chercha maladroitement de ses doigts raidis par cette souffracne aigue, la commande de son fauteuil.

Non...

Sa main cessa son exploration hasardeuse.

Les paupières closes, tentant de juguler au mieux la douleur, il laissa l'emprise glaciale de la Mort étreindre ses membres puis sa poitrine et, enfin, son visage.

La dernière sensation qu'il savoura, fut cette larme roulant sur sa pommette ridée et tannée. Non une larme de tristesse ni de peur. Juste une réaction de son corps face au supplice qui lui était asséné.

Puis les Ténèbres...






A suivre...

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"Mon dévidoir de l'âme"
  • Coucher mes pensées sur un écran vierge est comme un exutoire. Y dévercer mon flot de songes et de reflexions, y étaler la nudité de mon âme sans artifice, voilà la raison d'être de ce blog...
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