Elle ...

Je la contemple, elle, penchée au dessus de ce lourd et épais classeur ouvert sur un monceau de feuillets organisé rationnellement, avec une rigueur minutieuse, en chemises et sous chemises, cartonnées ou de papier, colorées ou non, selon un ordre chronologique décroissant comme l’impose la règle en vigueur. Inlassablement elle chasse, d’un revers de sa main fine, une infime mèche brune qui vient se perdre, dans une incessante et indolente caresse, devant son regard à l’iris éclatant de teintes de nuit. Elle soupire, tournant les pages une à une, humectant ses doigts du bout de sa langue entre ses lèvres rosées.

Je l’admire sans un mot, mon regard tout juste détourné sur son visage, fuyant dès qu’elle relève la tête ou pose ses yeux sur moi.

Non, elle ne doit pas surprendre cet intérêt, coupable et blâmable, que je lui porte. Elle ne doit pas déceler cette tendre contemplation répréhensible qui anime chacun de mes instants dès qu’elle est auprès de moi.

Elle esquisse un mouvement en ma direction, je feins de ne pas apercevoir, ni porter la moindre attention, à son visage  si doux,  à sa peau hâlée, à ses exquises lèvres teintées de pourpre, à ses yeux à l’intensité aussi profonde que s’il s’était agi de deux précieuses et étincelantes perles noires issues du fonds des océans.

Mon regard, masqué derrière une concentration factice, n’a rien perdu de sa beauté. Mon âme en est encore imprégnée.

Elle est l’incarnation de cet être rare que tout à chacun espère secrètement rencontrer. Elle est la  Beauté, elle est la Simplicité, elle est la Gentillesse, elle est l’Intelligence, elle est le Charme, elle est la Sensibilité, elle est l’Harmonie. Nul défaut ne semble pouvoir déposer un voile de noirceur sur tout son être, aucune imperfection ne semble pouvoir flétrir ni son éclat, ni son esprit.

Oui c’est cela, elle est parfaite !

Elle est la quintessence d’un idéal féminin, cela même que je n’avais pu que formuler en songe, cela même qui ne peut être que l’œuvre d’une entité omnipotente, toute puissante et supérieure. Nul esthète aussi talentueux soit il, ne peut dépeindre, en une quelconque de ses  œuvres, son fascinant et troublant charisme, ceci ne pouvant être fait de main d’Homme,

Mais est elle de chair et de sang ? Ne serait elle pas le simple fruit d’un univers onirique qui se prend à envahir ma réalité pour jeter le trouble dans mon âme ? Ne serait elle pas la simple résultante d’un imaginaire qui peu à peu se mêle à mon existence concrète et tangible, une chimère de plus dans ma vie ?

Non. A l’évidence, non. Elle est réelle. Elle est l’aboutissement d’une heureuse alchimie humaine qui a su tirer, de ces quelques millénaires d’évolution, la substantique moelle de l’Humanité pour l’insuffler en elle.

Mais il me faut être raisonnable et cesser mes errances délirantes.

Elle est trop belle, elle est trop envoûtante, elle est trop gracieuse. Son sourire est trop enivrant, son regard trop enchanteur, sa voix trop mélodieuse, sa délicatesse trop exquise. Elle est trop…parfaite…

Soupir.

Encore un dernier regard, une ultime contemplation … Et ce moment d’égarement doit être clos.

Reste cette étrange sensation d’avoir, l’espace d’un instant, été le pitoyable contemplateur d’une infinie et sublime Vénusté, l'insignifiant idolâtre d’une angélique et éternelle Splendeur, l’inutile et futile adorateur d’une merveilleuse et inaccessible astérie s’épanouissant au cœur de la pureté d’un diamant.