Désir d'amnésie...
Mon regard se perd au travers de cette baie vitrée donnant sur cette ruelle étroite peu fréquentée, terrain privilégié des moniteurs de l’Auto-Ecole voisine pour l’apprentissage du stationnement en créneau, les emplacements étant ramassés, la dénivelé quelque peu accentuée. Au loin, je peux distinguer les hauts arbres dénués de feuillage, des Jardins du Peyrou, sous ce ciel azur hivernal, cerné de cette sorte de colonnade culminant à mi taille humaine, cette succession serrée de formes rappelant les antiques amphores romaines ou grecques, surmontées d’une balustrade de pierre courant sans discontinuer d’une manière parfaitement longiligne.
Malgré cet hiver avancé, quoique perpétuellement doux en cette région, une chaleur ensoleillée baigne mon bureau, perçant le verre au delà de ces persiennes restées entrouvertes. Quel agréable sensation, lorsque je peux apercevoir ces quidam arpentant d’un pas rapide les trottoirs au revêtement pourpré, transi de froid, le visage enfermé dans leur cache-col ou leur écharpe laineuse ! (Il me faut tout de même admettre qu’ici les personnes sont bien plus frileuses que je ne le suis)
Je me perds dans ce panorama, je me perds dans mes pensées, dans mes ressentis, mon regard s’enfonçant au plus profond de ces cieux turquoises à la recherche peut être de réponse, peut être d’explication, peut être d’un inespéré réconfort, en tout cas d’un apaisement de cette infime oppression qui tord mon estomac. Oh rien de violent, rien de douloureux ! Il ne s’agit en rien d’une torture plus morale que réellement physique ! Juste un petit serrement au cœur, un minuscule pincement en mon être, mais qui en vient à m’effrayer… Car il apparaît trop souvent, car il dure trop longtemps, car il devient chaque jour un peu plus vif. Et je ne veux pas le ressentir en moi, je ne veux pas y être confronté, je ne veux pas avoir à connaître sa forme grandie à son summum qu’il ne tardera pas à revêtir me plongeant dans un abîme de culpabilité honteuse, de sentiments trop intenses, d’incompréhensions trop douloureuses, d’une mélancolie trop obscure.
Je ferme les yeux, je ferme mon esprit à tout ce qui m’est extérieur, je ferme mon esprit à tout ce qui m’est intérieur. Je prends une longue inspiration, je tente d’expier tout mon émoi en un lourd et interminable souffle. Mais rien n’y fait.
Elle vient de partir...
Elle qui est à l’origine de tout cela sans en avoir conscience. Je ne la blâme pas. Comment le pourrais je ? Elle n’a fait preuve d’aucune faute, d’aucun acte volontaire et équivoque, d’aucune parole intentionnelle et ambiguë, pour provoquer cet état de fait. Elle a seulement et simplement été elle même, comme avec quiconque croisant son chemin, avec son sourire enchanteur et son regard envoûtant. Et mon être, contre ma Raison, malgré les récriminations de mon esprit, s’est laissé charmé.
Mais je ne veux pas de cela. Je ne désire pas un tel sentiment ambivalent et dangereux. Mon désir ultime est de l’anéantir, l’annihiler, le tuer dans l’œuf, là où il fera moins de mal. Je veux l’évacuer, l’oublier, laisser un vent raisonnable le chasser de mon cœur. Je ne veux pas me laisser envoûter par un espoir aberrant, excessif et vain, m’incitant bien malgré moi à croire en un événement hypothétique qui à l’évidence ne se déroulera pas et dont je ne désire en rien qu’il ait lieu.
Ah je désirerais tant me rendre amnésique à tout cela afin de chasser de mon âme sa beauté, son regard, sa voix, son parfum, sa silhouette. Je ne veux plus être ce "vers de terre amoureux d'une étoile"! J’aimerais tant pouvoir simplement la regarder sans ressentir cette langueur me parcourir, qu’elle soit auprès de moi sans être contraint à la contempler discrètement comme je pourrais timidement idolâtrer une divine et éthérée apparition, avoir une conversation avec elle sans m’extasier à la mélodie de chacune de ses paroles.
Je ne veux plus ressentir ce pincement aux tréfonds de mon être, lorsqu’elle disparaît. Je ne veux plus ressentir ce suffoquement lorsqu’elle apparaît. Je ne veux plus ressentir cet infime manque lorsqu’elle n’est pas là. Je ne veux plus ressentir cette impatience lorsque je sais qu’elle viendra.
Je ne veux plus ressentir cela.
Juste oublier...