Elle...

18 avril 2006

Elle est apparue soudainement et s’est évaporée rapidement , trop rapidement, comme un rêve qui se dissout au réveil et dont on ne conserve que d’infimes sensations, de maigres images floues, de frêles voix dénuées de sens, justes des intonations fugitives, des mélodies douces, agréables dont malheureusement on ne parvient à se remémorer que quelques notes

Elle est entrée d’un pas léger mais vif, elle s’est engouffrée dans la pièce voisine après un poli et aimable salut de son timbre velouté, esquissant un sourire des plus enivrants, son regard de nuit se posant un trop bref instant sur moi. Puis, elle s’est évanouie dans un sourd claquement de porte.

Et moi, j’étais occupé, avec une magistrate… Et on ne fait pas attendre une magistrate, même lorsque la jeune femme la plus belle que l’on ait pu croisée ou même imaginée, sinon en rêve, entre dans son bureau. On ne peut pas se permettre de détacher, même ne serait ce un instant, sa réflexion de ce que la dite magistrate vous montre et explique dans un dossier litigieux, pour se perdre dans la contemplation absolue d’une telle divine magnificence.

Pourtant, j’aurais réellement désiré demeurer quelque peu idolâtre, stupidement ébahi, ne manquant aucun de ses gestes, de son déhanchement, de ses petites mous tantôt agacées tantôt fataliste, mais toujours si charmantes, face à l’ampleur des tâches qui l’attendent, de ses regards appliqués consciencieusement et avec un sérieux inébranlable, à parcourir les feuillets de ces amas de dossiers jaillissant de toute part.
Si je ne la connaissais quelque peu, j’imaginerais aisément, que cette brève attention apportée à ces dossiers ne pourrait lui permettre d’en retenir la moindre bribe. Mais j’aurais tort. Car son extraordinaire intellect dépasse de loin tout ce que je pourrais imaginé. Je me sens si démuni à ses côtés, si dénué de culture, de logique, d’entendement, de spiritualité, d’astuce, de lucidité. Pourtant quelque chose d’étrange se trame en elle : elle est si douée, sagace et subtile et, en toute contradiction, elle a une si mince confiance en elle, en ses capacités, en son intelligence. Il est si curieux d’être à la fois si brillante et d’avoir une si faible voire inexistante opinion de soi. Et je pressens qu’il ne s’agit pas là d’une fausse modestie, ourdissant l’expression d’un florilège de compliments de toute sorte ( la modestie n’est elle pas l’art de faire dire par d’autre tout le bien que l’on pense de soi même ?) Je perçois au travers son regard (et malgré tous les mensonges et les masques, une regard ne trompe pas…) qu’elle ne ment pas, que ses paroles ne sont pas une simple rengaine peut être destinée à relativiser ses certitudes, mais une véritable croyance en son manque d’aptitude. Et je suis stupéfait, presque abasourdi, quelque peu déconcerté. Pourtant, je comprends tout en m’interrogeant… Etrange, non ?

Elle est apparue trop furtivement et a disparu trop vivement.

Et je n’ai pu l’admirer, la contempler.

Fâcheusement.

Malheureusement.

Je n’ai pu tenter d’échanger quelques mots avec elle.

Rien d’important, juste des banalités, d’atroces et profondes banalités.

Juste pour qu’elle demeure encore un peu auprès de moi.

Juste pour me perdre encore plus profondément dans les teintes de nuit de son regard.

Juste pour me laisser bercer par la mélopée de sa voix délicate.

Juste pour me laisser étourdir par son sourire délicieux.

Juste pour m’enivrer des effluves de son parfum capiteux.

Juste pour me laisser envoûter par ces gestes gracieux, lents, éthérés.