Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
"Mon dévidoir de l'âme"
"Mon dévidoir de l'âme"
Archives
24 juin 2005

La mule... *

J’aurais dû me méfier lorsque je l’aperçus, approchant au loin. J’aurais dû fuir à toute jambe, sans me détourner.

Il avait ce sourire ravageur et charismatique du commercial sûr de son produit, il avait ce regard satisfait et  présomptueux du concessionnaire automobile qui avait décelé le bon client, -que dis je , le bon pigeon- pour l’achat de son plus invendable véhicule d’occasion.

Il me  tendit une poigne chaleureuse, m’ invita à boire un café avec une tape amicale dans le dos. Personne n’avait été aussi aimable avec moi depuis bien longtemps.

« Tu as besoin d’argent, n’est ce pas ? » me dit il sans s’encombrer des politesses d’usages entre nouvelles connaissances.

Personne n’ignorait mes soucis financiers, ce n’était qu’un secret de Polichinelle.

« Moi, je peux te faire gagner l’équivalent de deux voire trois mois de salaire en quelques heures… »

Je connaissais cet individu, je savais ce que tout le monde, dans  ce petit quartier défavorisé, murmurait à mi mot sur lui. Ces « bons plans » n’étaient à l’évidence pas des plus légaux. Il touchait à tout, sans état d’âme ni remords, du moindre recel de marchandises volées au trafic de stupéfiants de grande ampleur. Il n’avait pas directement de sang sur les mains mais beaucoup avait succombé à sa came impure ou à la violence de ses hommes de mains. Il était le caïd, celui que l’on ne respecte moins que l’on ne craint ; celui qui avait vu tous les épisodes du Parrain, qui connaissait chaque dialogue de Scarface,  qui singeait Brando ou Pacino sans avoir une once du charisme de leur personnage de composition.

« C’est simple et sans risque… Tu n’as qu’à passer la frontière avec un colis un peu spécial c’est tout… »

Il insistait, lourdement, patiemment. Il était certain de parvenir à ses fins. Pourtant, je refusais, le plus aimablement possible, sans esclandres, malgré le dégoût qu’il provoquait en moi.

Mais ce fier soubresaut d’honnêteté ne tînt pas. Les événements eurent raison de mon intégrité morale : acharnement du destin, effondrement d’une situation déjà chaotique, accroissement perpétuel de dettes de toute sorte… Peu importait la cause, il me fallait des liquidités et vite et c’était là de l’argent facile.

Alors, je le contactai un soir…

« Tu recevras de 3000 à 4000 Euros avec ça, je peux monter jusqu’à 5000 euros, en fonction de la quantité de marchandise passée… » me dit il.

« Tu n’as rien à craindre, la cache est absolument introuvable, tu passeras les détecteurs sans aucun problème.

Tiens voilà un billet d’avion pour Bogota. Tu m’as dit que tu avais un passeport n’est ce pas ?

Là bas, tu entreras avec un visa de tourisme. Un certain Alfonso t’attendras à l’aéroport. Il te connaît, il te donnera la marchandise et tu devras repartir aussitôt. Si on t’interroge, tu prétextes une maladie de ta mère ou un truc dans le genre…

Tu recevras ton argent de retour à Paris.

Bien sûr je te déduis le billet d’avion. »

Il avait prononcé ces mots rapidement à mi voix alors que nous étions dans le hall d’acceuil de Roissy-Charles De Gaulle, à l’abris des regards indiscrets.

Il me donna les billets et carte d’embarquement et tira lui même mon passeport, créé à la hâte, de la poche de ma veste pour l’insérer entre mes doigts.  Il  me poussa jusqu’à la porte d’embarquement presque malgré moi…

J’aurais dû fuir…

Alfonso m’attendait effectivement dans le Hall de l’aeroport international El Dorado de Bogota. J’aperçus sans mal son physique bedonnant alors que la police aéroportuaire scrutait mon passeport avec un air soupçonneux.

L’homme me demanda de le suivre dans un français approximatif, son haleine emplie de relent de tequila frelatée m’écœurant à la limite de la nausée. Il suait à grosse goutte et une odeur tenace et nauséeuse de transpiration le cernait.

Il me guida au travers des rues de Bogota d’un pas rapide et essoufflé, interrompu à plusieurs reprises par d’intense quinte de toux qui ne présageait qu’une douloureuse fatalité.

Arrivée devant un bouge à strip tease  peu accueillant, il bifurqua dans une ruelle crasseuse encombrée de déchets tant humains qu’alimentaires ou de tout autre sorte, avant de stopper devant une porte d’acier bordant l’établissement.

Trois coups brefs, quelques mots en espagnol et  le passage s’ouvrit à nous dans un long grincement. Nous entrâmes dans une salle où quelques malabars patibulaires jouaient au poker, revolver ou pistolet automatique posé sur un coin de table, ricanant bruyamment entre deux gorgée de tequila.  Alfonso m’intima de rester là, tandis qu’il s’entretînt avec un individu dans une pièce voisine. Je n’avais pas saisi le moindre sens de ses paroles mêlant français et espagnol mais son geste avait été explicite. Je me tapis dans un coin, évitant le regard des brutes épaisses qui s’adonnaient à l’alcool frelatée.

Je fus mené dans la pièce où Alfonso et l’homme m’attendait. Devant lui, sur une table, s’étalait une douzaine de paquets cylindriques, confectionnés, semblait il, à l’aide  de couches de feuilles de plastiques, arrondis à chaque extrémité. Il mesurait environ trois centimètres de long sur un petit centimètre de diamètre et pesaient une dizaine de gramme chacun.

Je pris alors conscience de l’horreur de la situation.

La cache était absolument indétectable… Et pour cause ! Il s’agissait de mon propre corps…

« Qu’est ce qu’il y’a là dedans ? soufflai je.

- Tu n’as pas à le savoir… fit l’homme avec qui Alfonso s’était entretenu.

Pourtant ma question était stupide : il était clair qu’il s’agissait ni plus ni moins que de la cocaïne compactée.

Alfonso me servit un grand verre d’une eau brunâtre avant de me tendre un des paquets.

« Avale ! »

J’hésitai, totalement terrorisé, me rendant progressivement compte que je n’avais aucune autre issue. Le deuxième homme porta sa main à un holster qu’il dissimulait difficilement sous une veste élimée, en signe de menace.

J’attrapai le cylindre et l’enfournai dans ma bouche ne pouvant pourtant l’avaler.

« Mâche un peu ! Ca passera mieux… conseilla Alfonso. Allez ! »

Je m’exécutai, après un intense effort de déglutition le paquet descendit péniblement le long de mon œsophage.

« Bien ! Bois un coup et continue… »

Ainsi engloutis je, au bord du vomissement et du malaise, exactement treize de ces paquets, Alfonso m’interrompant régulièrement par un massage de l’estomac afin de les mettre en place. Ce calvaire sembla durer une éternité, la seule notion de temps que j’avais, était le jour qui déclinait au travers d’une lucarne.

Lorsque cette douloureuse besogne fut terminée, alfonso me laissa sommeillée une paire d’heure sur une paillasse nauséabonde et encrassée avant de me mener à nouveau à l’aéroport.

« N’oublie pas, dit il en me jetant sur le trottoir comme un mal propre, tu retournes voir ta mère qui est malade ! »

J’acquiesçai, le corps parcouru de frisson de sueur froides.

Je me présentai avec une démarche fébrile jusqu’au bureau d’enregistrement.

« Non aucun bagage. Juste un bagage à main… »

Et un peu plus d’un kilo de came dans le ventre.

Difficilement, au bord de l’évanouissement, j’avançai dans la fil menant au poste de la police aéroportuaire.

Mon comportement ne fut pas des plus discret et deux hommes en uniforme ne tardèrent pas me cerner et à m’entraîner avec persuasion jusque dans une pièce à l’écart.  Elle  ne souffrait qu’aucune ouverture sinon cette lourde porte blindée verrouillée. Un éclairage blafard m’aveuglait, se réfléchissant sur les murs et le sol blanc. Les policiers menés par le colonel Nicolas Munoz Martinez, commandant de la police aéroportuaire, qui m’avait décliné son identité avec ferveur,   me déshabillèrent,  fouillèrent mon unique bagage allant jusqu’à arracher la doublure du sac, étudièrent mes documents d’identité sous toutes les coutures, consultèrent les fichiers des la police colombienne ainsi que ceux d’Interpol. On m’interrogea de manière incessante et, sans relâche, je répondais dans un anglais passable que je rentrais en France pour voir ma mère qui était mourante et que ça m’avait fait un choc, donc que c’était pour cela que j’étais pris de vertige.

La justice de cet état était expéditive et on m’avait parlé des prisons colombiennes : c’était l’Enfer sur terre et ceux qui en sortait vivant sombraient dans la démence.  Et je ne voulais en rien vérifier ces rumeurs. Je ne céderais pas !

Au final, de toute évidence profondément frustré de n’avoir rien découvert, ils se résignèrent à me rendre ma liberté et je pus embarquer in extremis à bord du vol à destination de Roissy Charles De Gaulle.

Je fus pris d’un profond souffle de soulagement lorsque je m’assis à mon emplacement côté couloir.

« C’est bon ! » murmurai je.

Mon recruteur m’avait précisé que le plus difficile serait de passer le poste de douane de l’aéroport El Dorado. Une fois en France, il n’y aurait aucun problème étant donné que j’étais de nationalité française et inconnu des services de police.

Je crois qu’à cet instant je sombrai dans un lourd sommeil.

Je m’éveillai brusquement.

Une étrange sensation venait de parcourir mon abdomen, comme une explosion s’étant produite au sein même de mon estomac.
Un éclatement…

Je blêmis.

« Merde… »jurai je me levant d’un bond et m’élançant en direction de toilettes de l’avion de ligne.

« Putain, elles ont éclaté, elles ont éclaté… » répétai je hystérique, sous les regards interloqués des autres passagers et des hôtesses de vol.

Je m’enfermai dans l’infime réduit des toilettes. Mon visage était livide, cadavérique. Je tremblais de tout mon corps, mon cœur propageant ses pulsations assourdissantes jusque dans mes tempes. J’étais totalement paniqué, je ne savais que faire.

« Elles ont éclatés… » réitérai je dans un sanglot apeuré.

Je tentai de me faire vomir par n’importe quel moyen.
Il faut retirer cette merde de  mon corps…

Réaction stupide et totalement irraisonnée. Les paquets ne pourraient s’extraire ainsi.

Du sang se mêla à la bile dans une flaque au fond du lavabo en inox. Les  cylindres avaient certainement déchirés la paroi de mon estomac.

Soudain mon cœur commença à s’emballer. Je fus pris dans un tourbillons incessant d’images et de sons. J’entendis distinctement la voix de Martinez me demander où était la drogue puis celle de Alfonso m’ordonnant d’avaler en me pointant le canon d’un revolver sur la crâne. Peu à peu un brasier envahit l’étroite cabine alors que je m’écroulais au sol, dans un rugissement.

« Retirez moi ça ! »

Je me frappai violemment l’estomac inlassablement. Je m’imaginais arrachant ma chair de mes propres mains, écartant les organes afin de prendre les paquets par poignée et les évacuer de mon corps.

Une vomissure sanguinolente coula entre mes lèvres tandis qu’une douleur lancinante envahit mon ventre, me perçant d’une multitude de lames acérées.

Un long hurlement de douleur résonna dans ma gorge. Au loin, je captai les voix des hôtesses demandant de l’aide en tambourinant contre la porte close.

Un rire tonitruant et ténébreux se propagea dans l’atmosphère. Devant mon regard ébahi apparut le visage extraordinairement  déformé de mon recruteur, cerné de flammes, les yeux semblables à deux braises incandescentes, deux hautes cornes se dessinant sur le sommet de son crâne. 

« Tu m’as cédé ton âme, jeune avorton, elle sera mienne pour l’éternité ! » s’écria t’il.

Des vapeurs fétides emplis d’odeur de tequila frelatée émanaient de ses lèvres qui se fendirent d’un sinistre ricanement.

Soudain un voile obscur et sourd m’enveloppa me plongeant lentement aux tréfonds d’un abîme sans fin, dans un ultime souffle.

Il y’a pire que la prison de Bogota, bien pire…





* nom donné aux passeurs de drogues.

.

Publicité
Commentaires
A
j'ai vu un reportage recemment sur les mules <br /> <br /> consternant ce qu'il peuvent (doivent) avaler <br /> <br /> ...<br /> <br /> en effet il manquait l'accident , ce qui se passe quand un de ces paquets explose ...
"Mon dévidoir de l'âme"
  • Coucher mes pensées sur un écran vierge est comme un exutoire. Y dévercer mon flot de songes et de reflexions, y étaler la nudité de mon âme sans artifice, voilà la raison d'être de ce blog...
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité